Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

dimanche 23 février 2014

Un poème de Gonzague de Reynold

Comme un fleuve au soleil vous traversez ma vie,
comme un fleuve au soleil qui s'en va vers la mer:
il répand sur ses bords la joie et l'harmonie,
et sa fraîcheur d'argent frissonne au bleu de l'air.

Les arbres sur ses bords inclinent leur feuillage
dont le murmure heureux accompagne son cours,
là-bas, dans le soleil, là-bas, jusqu'au rivage,
là-bas, jusqu'à la mer vaste comme l'amour.

Vous êtes la beauté, la joie et l'harmonie,
vous êtes du soleil, vous êtes de la mer...
J'ai choisi pour exil la tristesse infinie:
pour vous, je suis du Nord, et je suis de l'hiver.

Craignez, craignez un coeur tout gonflé de tempêtes;
l'un sur l'autre, j'ai vu s'abattre mes espoirs,
et je reste debout, la neige sur la tête,
à mesurer ce bois épars sur le sol noir.

L'ombre serait sur vous de mon inquiétude:
chassez de votre ciel ces nuages du Nord;
laissez le solitaire avec sa solitude
dont la face est déjà la face de la mort.

Vous ne trouvez en moi qu'une âme désolée:
elle a besoin de paix, et non plus de bonheur;
n'arrêtez point ma vie aux deux tiers en allée,
car pour elle l'amour n'est plus qu'une douleur.

Je désire pourtant l'amour et la jeunesse,
désir inassouvi qui cherche encor sa part...
Vous qui seriez l'amour, qui êtes la jeunesse,
vous traversez ma vie.
                                                            Trop tard.

Gonzague de REYNOLD, Conquête du Nord,
Paris, Gallimard, 1931.

samedi 22 février 2014

Deux peintres émiliens et un prince de l'Église

               Au XVIIème siècle, les hommes d’Église ne parlaient jamais de « culture », à la différence de nos contemporains, sans doute parce que, à l'inverse de ceux-ci, ils en avaient beaucoup ; bien plus, ils en étaient les vecteurs, plus encore que les princes séculiers, et ils le resteront jusqu’à ce que la « crise de la conscience européenne », si bien décrite autrefois par Paul Hazard, vînt les destituer de cette fonction civilisatrice. L’un d’eux était le cardinal Bernardino Spada (1594-1661). Il fut nonce à la Cour de France, puis préfet de la Sacra Congregatio de Confinibus, chargée de veiller sur les frontières des États pontificaux ; mais comme la monarchie française aussi bien que les états du pape ont disparu - proh dolor -, c’est surtout son rôle de protecteur des arts qui nous intéresse. On peut en effet visiter, dans la Ville Éternelle, une partie de sa demeure, qui s’appelle justement le Palazzo Spada, et y admirer une collection de peinture de bonne qualité[1]. On y découvrira notamment deux portraits de son ancien propriétaire, dus tous deux à des maîtres émiliens dont il fut le mécène : Guido Reni dit « Le Guide » (1575-1642), né et mort à Bologne ; Giovanni Francesco Barbieri dit « Guercino » ou « Le Guerchin » (1591-1666), né à Cento, près de Ferrare, et mort lui aussi à Bologne. Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler que cette « école de Bologne », héritière des Carrache, tendait vers une forme de classicisme à l’âge baroque, et nous offre ainsi une alternative à Caravage et au caravagisme, ce qui doit lui mériter notre estime : une âme bien née se méfiera toujours des tendances anticlassiques en art, puisque la déconstruction commence par l’esthétique, comme le montre partout le drame que traverse l’Église en notre temps. Les deux portraits nous présentent un prince de l’Église dans une position qui concrétise son principat : celui du Guide nous le montre dans son cabinet, regardant le spectateur, mais tenant une plume à la main, assis à côté d’une armoire ouverte où se voient des petits casiers destinés à ranger la correspondance ; le tableau du Guerchin, plus sobre, nous fait voir le cardinal avec un plan de citadelle à la main. Les deux peintres nous livrent un regard bleu, plus sensible chez Reni, plus déterminé chez Barbieri, mais empreint, dans les deux toiles, d’intelligence et de clarté, qualités qui ne sont pas à la mode, mais sans lesquelles il n’est plus de vraie culture.

Guido Reni, dit Le Guide,
Portrait du cardinal Spada, 1630, 227 x 147 cm,
Rome, Palais Spada.
Giovanni Francesco Barbieri, dit Le Guerchin,
Portrait du cardinal Spada, 1631, 87,8 x 96,8 cm,
Rome, Palais Spada.





[1] Voici le site de la Galleria Spada, qui se trouve dans le palais du même nom : http://galleriaspada.beniculturali.it/