Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mardi 31 juillet 2012

La Ville Éternelle vue par Corot en 1826

            Chateaubriand l’avait dit en citant Nicolas Poussin et Claude Lorrain: « Chose singulière, ce sont des yeux français qui ont le mieux vu la lumière de l’Italie »[1] ; mais savait-il que c’était toujours vrai de son temps ? En effet, au mois de mars 1826, deux ans et demi avant que le vicomte n’y retournât, en la qualité d’ambassadeur de Charles X, Corot se trouvait dans la Ville Éternelle, et il y peignait cet admirable Forum vu des jardins Farnèse. Que dire, sinon que l’histoire s’est chargée d’ordonner la symétrie du tableau à la place du peintre ! La tour du Capitole répond à celle, plus petite, du Grillo ; la coupole de San Luca e Martino fait la paire avec celle de l’église du Saint-Nom de Marie ; et une colonne romaine, dans l’axe de cette dernière église, se charge de diviser la représentation en deux sections qui se répartissent presque selon le nombre d’or… Mais il y a surtout la lumière bleu et or vert du ciel, et les tons ocres, gris et vert de l’espace qui s’étend du Palatin aux édifices. On notera que les ombres indiquent que le soleil est arrivé à l’occident de sa course, et que nous sommes donc à la fin de cette journée d’équinoxe.

Camille Corot, Le Forum, vue prise des jardins Farnèse, 1826.
Paris, Musée du Louvre.



[1] François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Livre trentième, chap. 9, édition Maurice Levaillant et Georges Moulinier, t. II, [Bibliothèque de la Pléiade, 71], Paris, Gallimard, 1951, p. 255.

Chateaubriand et Corot à Genève

            Comme d’autres écrivains du XIXème siècle parmi lesquels Lamartine et Balzac, Chateaubriand passa par Genève au cours de sa vie. Il y vint une première fois en 1805, ce qui lui permit de faire visite à madame de Staël, que l’ordre de l’Empereur avait contrainte à résidence forcée en son château de Coppet. Si nous en croyons les Mémoires d’outre-tombe, il estima quelque peu égoïstes les plaintes de la fille de Necker, non sans s’efforcer de la comprendre. Sa conclusion est très fine et très humaine  :

À Lyon, nous retrouvâmes M. Ballanche ; il fit avec nous la course à Genève et au Mont-Blanc. Il allait partout où on le menait, sans qu’il y eut la moindre affaire. À Genève, je ne fus point reçu à la porte par Clotilde, fiancée de Clovis : M. de Barante, le père, était devenu préfet du Léman. J’allai voir à Coppet madame de Staël ; je la trouvai seule au fond de son château, qui renfermait une cour attristée. Je lui parlai de sa fortune et de sa solitude, comme d’un moyen précieux d’indépendance et de bonheur ; je la blessai. Madame de Staël aimait le monde ; elle se regardait comme la plus malheureuse des femmes, dans un exil dont j’aurais été ravi. Qu’était-ce à mes yeux que cette infélicité de vivre dans ses terres, avec les conforts de la vie ? Qu’était-ce que ce malheur d’avoir de la gloire, des loisirs, de la paix, dans une riche retraite à la vue des Alpes, en comparaison de ces milliers de victimes snas pain, sans nom, sans secours, bannies dans tous les coins de l’Europe, tandis que leurs parents avaient péri sur l’échafaud ? Il est fâcheux d’être atteint d’un mal dont la foule n’a pas l’intelligence. Au reste, ce mal n’en est que plus vif : on ne l’affaiblit point en le confrontant avec d’autres maux, on n’est pas juge de la peine d’autrui ; ce qui afflige l’un fait la joie de l’autre ; les cœurs ont des secrets divers, incompréhensibles à d’autres cœurs. Ne disputons à personne ses souffrances ; il en est des douleurs comme des patries, chacun a la sienne.
François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe,
Livre dix-septième, chap. 3,
édition Maurice Levaillant et Georges Moulinier, t. I,
[Bibliothèque de la Pléiade, 67], Paris, Gallimard, 1951, p. 582-583.

René repassa dans la ville de Jean-Jacques en 1826. Il séjournait alors à Lausanne, d’où il se rendit à Genève les 28 et 29 juin, pour y consulter le docteur Coindet à cause d’un rhumatisme aigu qui le faisait beaucoup souffrir[1]. Ce fut l’occasion de revoir Delphine de Sabran, comtesse de Custine, qui devait mourir à Bex deux semaines plus tard :

J’ai vu celle qui affronta l’échafaud d’un si grand courage, je l’ai vue, plus blanche qu’une Parque, vêtue de noir, la taille amincie par la mort, la tête ornée de sa seule chevelure de soie, je l’ai vue me sourire de ses lèvres pâles et de ses belles dents, lorsqu’elle quittait Sécherons, près Genève, pour expirer à Bex, à l’entrée du Valais ; j’ai entendu son cercueil passer la nuit dans les rues solitaires de Lausanne, pour aller prendre sa place éternelle à Fervaques : elle se hâtait de se cacher dans une terre qu’elle n’avait possédée qu’un moment, comme sa vie.
Mémoires d’outre-tombe,
Livre quatorzième, chap. I,
édition citée, t. I, p. 472-473.

Au printemps de l’année qui suivit la chute de Charles X, Chateaubriand remboursa ses dettes grâce aux revenus de sa brochure De la Restauration et de la Monarchie élective ; puis il se demanda s’il ne convenait pas qu’il s’exilât, ce pourquoi il décida de se rendre à Genève. Jean-Claude Berchet note à ce propos :

Les voyageurs arrivèrent à Genève le soir du 23 mai. Rosalie de Constant leur avait trouvé un logement à leur convenance dans le quartier encore champêtre des Pâquis, au-delà des anciens fossés longeant le lac. Malgré le bon accueil des autorités du canton (le syndic Rigaud, le recteur Candolle) et celui de la bonne société locale (Sismondi, Bonstetten, Diodati, Mme Necker de Saussure), qu’il connaissaient déjà en partie, ce premier séjour un peu prolongé sur les bords du Léman ne fut pas des plus gais pour Chateaubriand. Les salons du Bourg-de-Four et de Sous-Terre ne valaient pas celui de la rue de Sèvres. À peine installé, il se rendit compte du piège dans lequel il venait de tomber. Il écrit le 24 mai à Mme Récamier : « Encore recommencer une vie quand je croyais avoir fini ! Je compte vous écrire une longue lettre quand je serai un peu en repos ; je crains ce repos, car alors je verrai sans distraction ces années obscures dans lesquelles j’entre le cœur si serré. » Et trois jours plus tard : « La vie que je mène changera peut-être, car si elle devait durer ainsi je ne pourrais la supporter longtemps. Je passe les ennuis de [notre] établissement, les tracasseries intérieures fort augmentées, etc. etc. »[2]

Découragé, René adresse le 9 juin 1831 ces vers à madame Récamier :

Le naufrage

Rebut de l’Aquilon, échoué sur le sable,
Vieux vaisseau fracassé dont finissait le sort,
Et que, dur charpentier, la mort impitoyable
Allait dépecer dans le port !

Sous tes ponts désertés un seul gardien habite :
Autrefois tu l’as vu sur ton gaillard d’avant.
Impatient d’écueils, de tourmente subite,
Siffler pour ameuter le vent.

Tantôt sur ton beaupré, cavalier intrépide,
Il riait quand, plongeant la tête dans les flots,
Tu bondissais ; tantôt du haut du mât rapide,
Il criait : Terre ! aux matelots.

Maintenant retiré dans ta carène usée,
Teint hâlé, front chenu, main goudronnée, yeux pers,
Sablier presque vide et boussole brisée
Annoncent l’ermite des mers.

Vous pensiez défaillir amarrés à la rive,
Vieux vaisseau, vieux nocher ! vous vous trompiez tous deux :
L’ouragan vous saisit et vous traîne en dérive
Hurlant sur les flots noirs et bleus.

Dès le premier récif votre course bornée
S’arrêtera ; soudain vos flancs s’entrouvriront ;
Vous sombrez ! c’en est fait ! et votre ancre écornée
Glisse et laboure en vain le fond.

Ce vaisseau, c’est ma vie, et ce nocher, moi-même :
Je suis sauvé ! mes jours aux mers sont arrachés :
Un astre m’a montré sa lumière que j’aime,
Quand les autres se sont cachés.

Cette étoile du soir qui dissipe l’orage,
Et qui porte si bien le nom de la beauté,
Sur l’abîme calmé conduira mon naufrage
À quelque rivage enchanté.

Jusqu’à mon dernier port, douce et charmante étoile,
Je suivrai ton rayon toujours pur et nouveau ;
Et quand tu cesseras de luire pour ma voile,
Tu brilleras sur mon tombeau.

Mémoires d’outre-tombe,
Livre trente-cinquième, chap. 7,
édition citée, t. II, p. 501-502.

Après s’être réinstallé à Paris, l’Enchanteur reparut à Genève quinze mois plus tard,  en septembre 1832, accompagné cette fois de son « étoile du soir ». Et ce fut avec madame Récamier qu’il entreprit le pèlerinage de Coppet :

Genève, fin de septembre 1832.

J’ai commencé à me remettre sérieusement au travail : j’écris le matin et je me promène le soir. Je suis allé hier visiter Coppet. Le château était fermé ; on m’en a ouvert les portes ; j’ai erré dans les appartements déserts. Ma compagne de pèlerinage a reconnu tous les lieux où elle croyait voir encore son amie, ou assise à son piano, ou entrant, ou sortant, ou causant sur la terrasse qui borde la galerie ; madame Récamier a revu la chambre qu’elle avait habitée ; des jours écoulés ont remonté devant elle : c’était comme une répétition de la scène que j’ai peinte dans René : « Je parcourus les appartements sonores où l’on n’entendait que le bruit de mes pas. . . . . . Partout les salles étaient détendues, et l’araignée filait sa toile dans les couches abandonnées. . . . . . Qu’ils sont doux, mais qu’ils sont rapides les moments que les frères et les sœurs passent dans leurs jeunes années, réunis sous l’aile de leurs vieux parents ! La famille de l’homme n’est que d’un jour ; le souffle de Dieu la disperse comme une fumée. À peine le fils connaît-il le père, le père le fils, le frère la sœur, la sœur le frère ! Le chêne voit germer ses glands autour de lui, il n’en est pas ainsi des enfants des hommes ! »
Je me rappelai aussi ce que j’ai dit dans ces Mémoires de ma dernière visite à Combourg, en partant pour l’Amérique. Deux mondes divers, mais liés par une secrète sympathie, nous occupaient, madame Récamier et moi. Hélas ! ces mondes isolés, chacun de nous les porte en soi ; car où sont les personnes qui ont vécu assez longtemps les unes près des autres pour n’avoir pas des souvenirs séparés ? Du château, nous sommes entrés dans le parc ; le premier automne commençait à rougir et à détacher quelques feuilles ; le vent s’abattait par degrés et laissait ouïr un ruisseau qui fait tourner un moulin. Après avoir suivi les allées qu’elle avait coutume de parcourir avec madame de Staël, madame Récamier a voulu saluer ses cendres. À quelque distance du parc est un tallis mêlé d’arbres plus grands, et environné d’un mur humide et degradé. Ce taillis ressemble à ces bouquets de bois au milieu des plaines que les chasseurs appellent des remises : c’est là que la mort a poussé sa proie et renfermé ses victimes.
            Un sépulcre avait été bâti d’avance dans ce bois pour y recevoir M. Necker, madame Necker et madame de Staël : quand celle-ci est arrivée au rendez-vous, on a muré la porte de la crypte. L’enfant d’Auguste de Staël est resté en dehors, et Auguste lui-même, mort avant son enfant, a été placé sous une pierre aux pieds de ses parents. Sur la pierre sont gravées ces paroles tirées de l’Écriture : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant dans le ciel ? Je ne suis point entré dans le bois ; madame Récamier a seule obtenu la permission d’y pénétrer. Resté assis sur un banc devant le mur d’enceinte, je tournais le dos à la France et j’avais les yeux attachés, tantôt sur la cime du Mont-Blanc, tantôt sur le lac de Genève : des nuages d’or couvraient l’horizon derrière la ligne sombre du Jura ; on eût dit d’une gloire qui s’élevait au-dessus d’un long cercueil. J’apercevais de l’autre côté du lac la maison de lord Byron, dont le faîte était touché d’un rayon du couchant ; Rousseau n’était plus là pour admirer ce spectacle, et Voltaire, aussi disparu, ne s’en était jamais soucié. C’était au pied du tombeau de madame de Staël que tant d’illustres absents sur le même rivage se présentaient à ma mémoire : ils semblaient venir chercher l’ombre leur égale pour s’envoler au ciel avec elle et lui faire cortège pendant la nuit. Dans ce moment, madame Récamier, pâle et en larmes, est sortie du bocage funèbre elle-même comme une ombre. Si j’ai jamais senti à la fois la vanité et la vérité de la gloire et de la vie, c’est à l’entrée du bois silencieux, obscur, inconnu, où dort celle qui eut tant d’éclat et de renom, et en voyant ce que c’est que d’être véritablement aimé.
Mémoires d’outre-tombe,
Livre trente-sixième, chap. 21,
édition citée, t. II, p. 605-606.


            Comme Chateaubriand, Jean-Baptiste Camille Corot (1796 – 1875) aimait la lumière de l’Italie, où il séjourna de 1825 à 1828, puis en 1834, et encore en 1843. Et comme Chateaubriand, il séjourna aussi en Suisse : il y fut en 1825, sur le chemin de la Ville Éternelle ; puis en 1842, plus longuement ; et fréquemment sous le Second Empire : en 1852, 1853, 1855, 1857, 1859, 1863. Sa mère, Françoise Auberson, était originaire du canton de Fribourg. M. Jean Leymarie nous dit que

En 1842, il s’arrête longuement sur les bords du Léman, dont il aime la lumière « pleine de nuances délicates ». À Genève, il se plaît à relire sur place les descriptions de J.-J. Rousseau, « ce paysagiste de génie », dit-il, avant de peindre la vieille ville massée autour de sa cathédrale[3].

Voici un tableau qui représente le quai des Pâquis, aux portes de Genève, en 1842, dans l’état où il se trouvait avant la démolition des fortifications (votée en 1849), et donc tel que put l’admirer Chateaubriand dix ans auparavant. On admirera l’équilibre du point de vue choisi ; c’est une constante chez Corot, et c’est pourquoi nous considérons qu’il participe de plein droit à ce que nous appelons le classicisme essentiel, plus large que le classicisme historique, mais non pas moins exigeant.

Camille Corot, Le Quai des Pâquis à Genève, 1842.
Genève, Musée d'Art et d'Histoire.


[1] Cf. Jean-Claude Berchet, Chateaubriand, Paris, Gallimard, 2012, p. 744.
[2] Jean-Claude Berchet, op. cit. p. 818.
[3] Jean Leymarie, Corot, Genève, Albert Skira, 1966, p. 66.

dimanche 29 juillet 2012

Chateaubriand et la chambre de madame Récamier

            Un corridor noir séparait deux petites pièces. Je prétendais que ce vestibule était éclairé d’un jour doux. La chambre à coucher était ornée d’une bibliothèque, d’une harpe, d’un piano, du portrait de madame de Staël et d’une vue de Coppet au clair de lune ; sur les fenêtres étaient des pots de fleurs. Quand, tout essoufflé après avoir grimpé trois étages, j’entrais dans la cellule aux approches du soir, j’étais ravi : la plongée des fenêtres était sur le jardin de l’Abbaye, dans la corbeille verdoyante duquel tournoyaient des religieuses et couraient des pensionnaires. La cime d’un acacia arrivait à la hauteur de l’œil. Des clochers pointus coupaient le ciel et l’on apercevait à l’horizon les collines de Sèvres. Le soleil couchant dorait le tableau et entrait par les fenêtres ouvertes. Madame Récamier était à son piano ; l’angelus tintait : les sons de la cloche, « qui semblait pleurer le jour qui se mourait », il giorno pianger che si muore, se mêlaient aux derniers accents de l’invocation à la nuit de Roméo et Juliette de Steibelt. Quelques oiseaux se venaient coucher dans les jalousies relevées de la fenêtre ; je rejoignais au loin le silence et la solitude, par-dessus le tumulte et le bruit d’une grande cité.
            Dieu en me donnant ces heures de paix, me dédommageait de mes heures de trouble ; j’entrevoyais le prochain repos que croit ma foi, que mon espérance appelle. Agité au dehors par les occupations politiques ou dégoûté par l’ingratitude des cours, la placidité du cœur m’attendait au fond de cette retraite, comme le frais des bois au sortir d’une plaine brûlante. Je retrouvais le calme auprès d’une femme de qui la sérénité s’étendait autour d’elle sans que cette sérénité eût rien de trop égal, car elle passait au travers d’affections profondes. Hélas ! les hommes que je rencontrais chez madame Récamier, Matthieu de Montmorency, Camille Jordan, Benjamin Constant, le duc de Laval, ont été rejoindre Hingant, Joubert, Fontanes, autres absents d’une autre société absente. Parmi ces amitiés successives se sont élevés de jeunes amis, rejetons printaniers d’une vieille forêt où la coupe est éternelle. Je les prie, je prie M. Ampère qui lira ceci quand j’aurai disparu, je leur demande à tous de me conserver quelque souvenir ; je leur remets le fil de la vie dont Lachésis laisse échapper le bout sur mon fuseau. Mon inséparable camarade de route, M. Ballanche, s’est trouvé seul au commencement de ma carrière ; il a été témoin de mes liaisons rompues par le temps, comme j’ai été témoin des siennes entraînées par le Rhône : les fleuves minent toujours leurs bords.
            Le malheur de mes amis a souvent penché sur moi, et je ne me suis jamais dérobé au fardeau sacré : le moment de la rémunération est arrivé ; un attachement sérieux daigne m’aider à supporter ce que leur multitude ajoute de pesanteur à des jours mauvais. En approchant de ma fin, il me semble que tout ce qui m’a été cher m’a été cher dans madame Récamier, et qu’elle était la source cachée de mes affections. Mes souvenirs de divers âges, ceux de mes songes comme ceux de mes réalités, se sont pétris, mêlés, confondus, pour faire un composé de charmes et de douces souffrances dont elle est devenue la forme visible. Elle règle mes sentiments, de même que l’autorité du ciel a mis le bonheur, l’ordre et la paix dans mes devoirs.
            Je l’ai suivie, la voyageuse, par le sentier qu’elle a foulé à peine ; je la devancerai bientôt dans une autre patrie. En se promenant au milieu de ces Mémoires, dans les détours de la basilique que je me hâte d’achever, elle pourra rencontrer la chapelle qu’ici je lui dédie ; il lui plaira peut-être de s’y reposer : j’y ai placé son image.

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe,
Livre vingt-neuvième, chapitre 23,
édition Maurice Levaillant et Georges Moulinier, t. II
[Bibliothèque de la Pléiade, 71], Paris, Gallimard, 1951, p. 221-222.

François-Louis Dejuinne,
La Chambre de madame Récamier à l'Abbaye-aux-Bois, 1826.
Paris, Musée du Louvre.

Les armes de Chateaubriand

            La fidélité monarchique de Chateaubriand doit quelque chose à ses origines chevaleresques, et notamment aux armes que sa famille portait en vertu d’une concession de saint Louis. Relisons la belle page des Mémoires d’outre-tombe qui nous en explique la raison.

            Je suis né gentihomme. Selon moi, j’ai profité du hasard de mon berceau, j’ai gardé cet amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l’aristocratie dont la dernière heure est sonnée. L’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités : sortie du prermier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier.
[…] Les armes des Chateaubriand étaient d’abord des pommes de pin avec la devise : Je sème l’or. Geoffroy, baron de Chateaubriand, passa avec saint Louis en Terre-Sainte. Fait prisonnier à la bataille de la Massoure, il revint, et sa femme Sybille mourut de joie et de surprise en le revoyant. Saint Louis, pour récompenser ses services, lui concéda à lui et à ses héritiers, en échange de ses anciennes armoiries, un écu de gueules, semé de fleurs de lys d’or : Cui et ejus haeredibus, atteste un cartulaire du prieuré de Bérée, sanctus Ludovicus tum Francorum rex, propter ejus probitatem in armis, flores lilii auri, loco pomorum pini auri, contulit.

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe,
Livre premier, chapitre I,
édition Maurice Levaillant et Georges Moulinier, t. I,
[Bibliothèque de la Pléiade, 67], Paris, Gallimard, 1951, p. 7-8.

Mon sang teint les Bannières de France

jeudi 26 juillet 2012

Les funérailles d’Atala, racontées par Chateaubriand, et peintes par Girodet

            « Cependant, une barre d’or se forma dans l’Orient. Les éperviers criaient sur les rochers, et les martres rentraient dans le creux des ormes : c’était le signal du convoi d’Atala. Je chargeai le corps sur mes épaules ; l’ermite marchait devant moi, une bêche à la main. Nous commençâmes à descendre de rochers en rochers ; la vieillesse et la mort ralentissaient également nos pas. À la vue du chien qui nous avait trouvés dans la forêt, et qui maintenant, bondissant de joie, nous traçait une autre route, je me mis à fondre en larmes. Souvent la longue chevelure d’Atala, jouet des brises matinales, étendait son voile d’or sur mes yeux ; souvent pliant sous le fardeau, j’étais obligé de le déposer sur la mousse, et de m’asseoir auprès, pour reprendre des forces. Enfin, nous arrivâmes sous l’arche du pont. O mon fils, il eût fallu voir un jeune Sauvage et un vieil ermite, à genoux l’un vis-à-vis de l’autre dans un désert, creusant avec leurs mains un tombeau pour une pauvre fille dont le corps était étendu près de là, dans la ravine desséchée d’un torrent !
            « Quant notre ouvrage fut achevé, nous transportâmes la beauté dans son lit d’argile. Hélas, j’avais espéré de préparer une autre couche pour elle ! Prenant alors un peu de poussière dans ma main, et gardant un silence effroyable, j’attachai, pour la dernière fois, mes yeux sur le visage d’Atala. Ensuite je répandis de la terre du sommeil sur un front de dix-huit printemps ; je vis graduellement disparaître les traits de ma sœur, et ses grâces se cacher sous le rideau de l’éternité ; son sein surmonta quelque temps le sol noirci, comme un lis blanc s’élève du milieu d’une sombre argile : “Lopez, m’écriai-je alors, vois ton fils inhumer ta fille !” et j’achevai de couvrir Atala de la terre du sommeil ».
François-René de Chateaubriand, Atala,
in Id., Œuvres romanesques et voyages, éd. Maurice Regard, t. I,
[Bibliothèque de la Pléiade, 209], Paris, Gallimard, 1969, p. 90.


            Girodet représente un instant que Chateaubriand ne décrit pas dans son roman, mais qui va de soi. Le père Aubry à droite, debout dans la fosse à peine creusée, et Chactas assis sur son rebord, à l’autre extrémité, tiennent le cadavre de la jeune et blonde Atala, illuminée par le soleil qui, de l’Orient, éclaire une arche du pont. La bêche déposée par terre au premier plan évoque le dernier service que les survivants rendent en ce moment à la morte que, chacun à sa place et de sa façon propre, ils aimaient. La croix, dans l’axe du soleil, donne son sens chrétien à la scène.
Le lecteur intéressé trouvera quelques compléments sur le site du Musée du Louvre : http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/atala-au-tombeau

Anne-Louis Girodet, Atala au tombeau, 1808.
Paris, Musée du Louvre.

mardi 24 juillet 2012

Regards sur trente-neuf tableaux ou dessins de Nicolas Poussin

            Nicolas Poussin (1594 - 1665) n’était pas seulement le contemporain de Claude Lorrain (environ 1600 – 1682) ; ces deux peintres, les plus grands du XVIIème siècle français à notre sens, ne vécurent pas en France, mais à Rome, où il habitèrent deux rues parallèles au pied du Pincio, la via del Babuino pour le premier, et la via Margutta pour le second. Mais surtout, ils incarnent parfaitement ce classicisme éternel, que notre époque comprend si mal parce qu’elle hait la forme, et qui appartient pourtant à l’essence même de la beauté : pulchrum splendor formae dit justement l’adage. C’est bien cette dimension métaphysique de l’art  - disons supra-sensible, si l’on préfère – qui nous attire chez le Normand de la Ville Éternelle et qui explique pourquoi nous en avons brièvement commenté trente-sept tableaux ou dessins.


§         La Fuite en Égypte, 1627 ;
le Massacre des Innocents, vers 1628-1629 :

§         L’Inspiration du poète (première version), 1627 :

§         Le Retour d’Égypte en barque, entre 1628 et 1638 :

§         L’Inspiration du poète (deuxième version), vers 1629-1630 :

§         Descente de Croix, 1630 :

§         Nativité, 1630 :

§         Numa Pompilius et la nymphe Égérie, entre 1631 et 1633 ;
l’Enlèvement des Sabines, 1633-1634 environ :

§         L’Adoration des bergers, vers 1633-1634 :

§        Sentier menant dans une clairière, vers 1635-1640 :

§        Sentier débouchant dans une clairière, entre 1635 et 1640 ;
Paysage au repos, vers 1650-1651 :

§         L’Annonciation, 1637 :

§         Paysage avec des voyageurs se reposant, vers 1638-1639 :

§         Esther devant Assuérus, 1640 :

§         Paysage avec saint Matthieu et l’Ange, vers 1640 :

§         La Ronde de la vie humaine, vers 1640 :

§         Saint Jean à Patmos, 1640 :

§         Le testament d’Eudaminas, entre 1643 et 1644 :
http://participans.blogspot.fr/2011/01/sicut-enim-sol-est-lucens-per-suam.html

Le Baptême du Christ, 1647
http://participans.blogspot.it/2013/01/marc-fumaroli-et-la-representation-du.html

§         Paysage avec un homme tué par un serpent, 1648 ;
Orphée et Eurydice, 1650-1651 :

§         La Sainte Famille sur les marches, 1648 :

§         Le Jugement de Salomon, 1649 :

§         L’Assomption de la Vierge, 1649-1650 :

§         Le Ravissement de saint Paul, 1649-1650 :

§         Le Christ guérissant les aveugles de Jéricho, 1650 :

§         Paysage aux cinq arbres, vers 1650 :

§         La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste et sainte Élisabeth, 1650 :

§         La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste et sainte Élisabeth, 1650-1651 :

§         La Sainte Famille, 1651 :

§         Moïse sauvé des eaux, 1651 :
http://participans.blogspot.fr/2011/02/or-la-fille-de-pharaon-descendit-au.html

Le Baptême du Christ, 1653-1655:
http://participans.blogspot.it/2013/01/marc-fumaroli-et-la-representation-du.html


Saint Pierre et saint Jean guérissant le paralytique, 1655 :

§       La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste et sainte Élisabeth, vers 1655 :

§         La Sainte Famille en Égypte, vers 1655-1657 :

§         Le Baptême du Christ, 1658 :

§         La Sainte Famille à l’escalier ;
la Sainte Famille au bassin :

samedi 21 juillet 2012

Regards sur quarante-deux tableaux ou dessins de Claude Lorrain

            Bien que nous ayons toujours éprouvé le plus vif intérêt pour les arts, nous n’en pratiquons aucun, et c’est principalement la métaphysique de saint Thomas que par différents biais nous enseignons, et non pas l’histoire de l’art. Nous ne prétendons donc à aucune compétence de spécialiste en ce domaine. Cependant, nous pensons que, le pulchrum étant le resplendissement de l’esse, l’amour des arts devrait être l’acolythe de la science de l’être. Peut-être sommes-nous un peu naïf ? Qu’on se rassure, nous nous le demandons souvent. Cela ne nous empêche pas, pourtant, de persévérer dans notre conviction, ce qui expliquera à nos aimables lecteurs pourquoi nous ne croyons pas déplacé de leur proposer une table chronologique des tableaux et des dessins de Claude Lorrain que nous leur avons présentés sur ce modeste bloc-notes.
  

  • Port au soleil levant, 1634 et 1638 :

  • Marine, soleil couchant – Paysage, pâtre et troupeaux, vers 1630-1635 :

  • Scène portuaire, 1636 :

  • Paysage avec le port de Santa Marinella, vers 1637-1638
Paysage avec le lac d’Albano e Castel Gandolfo, 1639 :

  • La Campagne romaine, 1639 :
http://participans.blogspot.fr/2011/01/claude-lorrain-la-campagne-romaine.html

Port de mer au soleil couchant, 1639:
http://participans.blogspot.fr/2015/01/commencer-lannee-2015-elevons-nous-un.html

  • Paysage à figures devant un port, fin des années 1630 :

  • Arbres, 1640 ou bien 1655-1660.

  • Scène portuaire, vers 1640 :

  • Vue de Prato Lungo, 1643 :

  • L’Acqua Acetosa, 1645 :

  • Paysage avec Agar et l’Ange, 1646 :

  • Apollon et la Sibylle de Cumes, vers 1646-1647 :

  • L’Enlèvement d’Europe, 1647 :

  • Port de mer avec l’embarquement de sainte Ursule, 1647 :

  • L’Embarquement de la reine de Saba, 1648 :

  • Paysage italien, 1648 :

  • Vue de La Crescenza, vers 1648-1650 :

  • Paysage boisé devant des édifices, entre 1640 et 1650 :

  • Paysage avec les noces d’Isaac et de Rébecca, 1650 :

  • Esther entrant dans le palais d’Assuérus, 1658 :

  • Paysage avec Apollon et Mercure, 1660 :

  • Paysage avec le Christ sur la route d’Emmaüs, 1660 :

  • La Fuite en Égypte, 1661 :

  • Tobie et l’Ange, 1663 :

  • Paysage avec Jacob, Rachel et Léa près du puits, 1666 :

  • Énée à Délos, 1670-1672 :

  • Paysage avec Énée à Délos, 1672 :

  • Énée conduit par la Sibylle de Cumes aux Enfers, 1673 :

  • Énée et la sibylle de Cumes, 1673 :

  • Paysage côtier avec Persée et la naissance du corail, 1673 :

  • Le Débarquement d’Énée à Pallantée, 1675 :

  • Didon montrant Carthage à Énée, 1676 :

  • Le Débarquement d’Énée à Pallantée, 1677 :

  • «Noli me tangere», 1681 :

  • Arbres, s.d. :

  • Paysage avec vue sur le Mont Soracte, s.d. :

  • Paysage littoral avec un combat sur un pont, s.d. :

  • Scène portuaire :

  • Chateaubriand et Claude Lorrain:
http://participans.blogspot.fr/2012/07/chateaubriand-et-claude-lorrain.html

Port méditerranéen au soleil levant avec l’embarquement de sainte Paule pour Jérusalem
http://participans.blogspot.it/2014/01/port-mediterraneen-au-soleil-levant.html

Une dimension du génie de Claude Lorrain : la maîtrise de la perspective
http://participans.blogspot.it/2014/01/une-dimension-du-genie-de-claude.html