Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

vendredi 30 décembre 2011

« Le repos durant la fuite en Égypte »

           Le thème du « repos durant la fuite en Égypte » a séduit les peintres qui exerçaient leurs talents dans la Ville Éternelle à la fin du XVIème siècle, puis au cours du XVIIème. Au plan de la technique artistique, ce sujet conduit à insérer une composition de personnages au repos dans un paysage semblable à ceux qu’offre la campagne romaine, tandis que, au point de vue de l’art pris dans son sens le plus noble, il permet de représenter la sainte Famille, archétype de toute communauté familiale, d'une part, puis d’évoquer à la fois le bonheur d’un instant de repos, et sa fugacité, caractéristiques de notre existence pèlerine qui se conclura par la mort, d'autre part.

Voici trois œuvres sur ce thème. Le Caravage unit ici le réalisme, voire le naturalisme des visages et des attitudes, qui lui est familier, à la tendresse du moment, l’un et l’autre étant exhaussés par la présence de l’ange musicien… qui reste néanmoins très humain. Poussin et Le Lorrain, eux, sont fidèles à leur classicisme, encore légèrement maniériste durant cette période du peintre normand. On remarquera la proximité de cette oeuvre avec celle que nous avons présentée le jour de Noël. Claude, comme Nicolas, ont soin de laisser voir un fleuve, qui ressemble évidemment au Tibre, mais qui symbolise la frontière entre la Terre Sainte et la terre d'exil: celle où se trouvent les chrétiens durant cette vie.

Michel-Ange Merisi dit Le Caravage, Le repos durant la fuite en Égypte, vers 1595.
Rome, Galerie Doria Pamphilj.

Nicolas Poussin, Le repos durant la fuite en Égypte, vers 1627.
New York, Metropolitan Museum.

Claude Lorrain, Paysage avec une halte durant la fuite en Égypte, 1661.
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.

dimanche 25 décembre 2011

Nicolas Poussin : « L’Adoration des bergers »

À l’arrière-plan, la campagne de Bethléem, c’est-à-dire un paysage méditerranéen en hiver, aux teintes assoupies, mais néanmoins assez joyeuses. Au moyen plan, des architectures classiques tronquées – une arcade en plein ceintre et une colonnade interrompue, majestueuses, mais inutiles et rongées par le temps, comme le sont les plus illustres des œuvres terrestres. Mais, au premier plan, sous le toit de la pauvre étable improvisée dans les ruines de la grandeur romaine, l’Enfant, la Vierge, Joseph, les bergers et les anges, sont vêtus d’or, de blanc et de bleu, couleurs célestes, et ils s'inscrivent dans un triangle, symbole de l'harmonie divine : c’est la joie de Noël, qui triomphe déjà au-delà de la nature et de l’histoire, dans les cœurs des humbles et des purs.

Joyeux Noël !

Nicolas Poussin, L'adoration des bergers, vers 1633 - 1634.
Londres, National Gallery.

samedi 10 décembre 2011

Claude Lorrain, Port de mer avec l’embarquement de sainte Ursule

            Les chefs-d’œuvre de Claude Lorrain sont ses ports solennels où la nature, la culture, et l’histoire sont glorifiés par le soleil qui, levant ou couchant peu importe, révèle leur essence profonde. Voici donc justement Le port de mer avec l’embarquement de sainte Ursule. La sainte, ayant achevé son pèlerinage dans la Ville Éternelle, s’embarque à Ostie. Tenant un étendard blanc frappé d’une croix rouge  - celui du Christ  -, et entourée de ses proches compagnes, elle laisse passer devant elle la procession des vierges qui vont l’accompagner en Germanie, et qui la suivront jusque dans le martyre. Le cortège sort d’une chapelle qui n’est autre que le célèbre Tempietto de Bramante (Donato d’Angelo, 1444 – 1514), prototype du premier classicisme de la Renaissance à Rome[1]. D’autres édifices s’étagent dans l’axe de gauche, jusqu’à un palais qui évoque la Villa Médicis[2], puis un phare surmonté d’une statue. De l’autre côté, les mâts et les proues de trois bateaux, un arbre majestueux, la silhouette enfin de la forteresse qui protège l’accès du port, se découpent presque en zigzag, mais leur ensemble contribue à dessiner les deux diagonales à l’intérieur desquelles le peintre a inscrit toute la composition. À l’intersection de ces lignes s’élève le vaisseau au bord duquel Ursule et ses compagnes vont prendre place, et, légèrement au-dessus et à gauche, resplendit le soleil.
            Si, comme nous le pensons, l’astre du jour symbolise, dans les œuvres majeures de Claude, Dieu lui-même, le sens du tableau s’éclaire. Au premier plan, les ouvriers portuaires s’affairent, plongés dans leur tâche quotidienne, indifférents  - mais pas tout à fait – à la scène et au Créateur, car ils sont les plus éloignés du soleil. Ursule, vêtue d’une robe mordorée, c’est-à-dire solaire, s’en rapproche, ainsi que ses compagnes, qui sont en bleu – le ciel – ou en rouge – le martyre prochain ; c’est aussi pourquoi leurs visages sont empreints de noblesse. Enfin, le vaisseau se dresse entre le plan central et l’horizon, ou plutôt entre les splendeurs de la civilisation et le soleil, puisque Ursule, en montant à bord, va quitter les premières, et s’apprêter à rencontrer le second – Dieu – pour toujours. Pourquoi, alors, les critiques d’art vont-ils sans cesse répétant que le sujet, chez le grand Lorrain, n’est qu’un prétexte ? Toujours, dans ses grandes œuvres, il y a cet étagement des plans qui s’échelonnent du quotidien à un sacré de type solaire, en passant par le noble ou l’héroïque[3].

Claude Lorrain, Port de mer avec l'embarquement de sainte Ursule, 1647.
Londres, National Gallery.


Vous trouverez ici la liste des tableaux et des dessins de Claude Lorrain que nous avons présentés sur ce blog, et que nous avons disposée selon l’ordre chronologique de la vie du peintre :
http://participans.blogspot.fr/2012/07/regards-sur-quarante-tableaux-ou.html

[1]  http://img71.xooimage.com/views/b/4/4/bramante-tempietto-rome.-2f87b63.jpg/
[2] http://img69.xooimage.com/files/b/8/9/villa-m-dcis-rome.-2f876b8.jpg


Deux paysages virgiliens en pendant de Claude Lorrain

            Voici deux paysages virgiliens « en pendant » particulièrement réussis, que possède le Musée du Louvre, mais qui ne sont malheureusement pas exposés au public. Comme pour les deux tableaux de Cambridge que nous avons déjà présentés[1], le jeu de correspondances entre les deux œuvres pourrait se résumer, pour un esprit philosophique, en la formule platonicienne ou pythagoricienne de l’unité dans la dualité. Voyons cela.
            Dans le Marine au soleil couchant, le premier plan montre la terre ferme, tandis que la mer, dont une langue vient presque toucher la droite du tableau, occupe le moyen plan, et qu’une ligne côtière se profile à l’arrière-plan. Le Paysage avec un pâtre et un troupeau nous fait voir au contraire un cours d’eau stagnant au premier plan, qui serpente jusqu’au moyen plan, et qui est encadré, à l’arrière-plan, par une chaîne de montagnes plus hautes. Les deux thèmes ont donc en commun la triade de la nature, de l’eau et surtout du ciel illuminé par un soleil déjà affaibli ; mais ils diffèrent selon que prédomine l’élément terrestre dans l’un, et l’élément maritime dans l’autre, bien que la surface d’eau occupe des proportions assez voisines.
Dans le premier de ces tableaux, deux personnages debout se dressent sur le promontoire du premier plan, et sont éclairés par les rayons du soleil couchant, dans la droite ligne duquel il se trouvent ; dans le pendant, en revanche, le spectateur voit au premier plan des bestiaux, puis un personnage sur le côté qui, sans être dans l’ombre, n’est pas éclairé par le soleil, dont le peintre n’a d’ailleurs représenté que la lumière qu’il projette derrière la montagne. Dans le Marine, ce même soleil semble, comme si souvent chez Claude, le personnage principal, dont les rebords du paysage encadre l’apparition : à gauche, l’arbre qui se détache d’un buisson, puis le vaisseau qui mouille sous la falaise ; à droite, l’éperon rocheux et le bosquet qui sépare le premier du deuxième plan, puis la tour, les mâts, et la falaise reculée qui délimitent, de ce côté, le moyen plan. Comme  au théâtre, ce cadre permet à l’artiste de glorifier ce qui surplombe la scène, le soleil couchant, ses reflets sur les nuages, et cette nuance de bleu qui s’observe à l’heure de vêpres sur les côtes du Latium. Le Paysage joue plutôt, quant à lui, sur les tons verts et bleu de la végétation, beaucoup plus abondante, et sur la verticalité du groupe d’arbres qui domine le centre gauche de la composition, et qui est balancée par un autre groupe, beaucoup plus net et moins touffu, à droite en avant. Nous avouons que le Marine nous semble nettement mieux réussi que le Paysage ; mais l’effet de pendant ajoute néanmoins un plaisir intellectuel que les œuvres contemplées à part n’offriraient pas.

Claude Lorrain, Marine, soleil couchant, vers 1630 - 1635.
Paris, Musée du Louvre.

Claude Lorrain, Paysage, pâtre et troupeaux, vers 1630 - 1635.
Paris, Musée du Louvre.